28 Octobre 2016
Betty Cord avait remis au plus tard possible la tâche qu’elle s’était fixée, à savoir laver sa voiture. C’était un exercice dont elle se serait bien passée. Le plus difficile était d’acheminer l’eau jusqu’à l’endroit où était la voiture, par le biais d’un tuyau lourd et difficilement gérable.
Elle était en train de mousser les portières lorsque Paula Dixon sortit de chez elle et vint à sa rencontre.
- Tu aurais dû choisir une tenue plus sexy pour faire ça. Short moulant et court, comme on en voit à la télé, dit-elle en riant.
- A mon âge, short et moulant sont deux mots qui n’existent plus dans le dictionnaire de la vie.
- Allons Betty… je te rassure, tu n’es pas encore bonne à jeter. Et puis, les joggings qu’on fait vont te donner des cuisses d’enfer et un fessier à faire tomber tout Peyton Place. Tu verras…
- Le plus tôt sera le mieux, dans ce cas. Parce que tes joggings, je ne sais pas combien de temps je vais bien pouvoir les supporter.
Paula se pencha vers elle.
- On dirait une vieille fille quand tu parles comme ça. Il faut souffrir pour être belle.
Betty secoua la tête en souriant.
- Allez files, je suis sûre que tu as des choses plus importantes à faire qu’à parler avec une vieille fille comme moi.
Une fois Paula partit, Betty se remit au travail et se concentra sur une tâche près de la vitre avant.
Une vieille fille. C’était bien le mot pour la décrire. Depuis le départ de Steven, Betty se sentait seule. Elle avait l’impression d’être une de ces femmes sans mari qui élèvent seules ses enfants. Quelque part, ça la rendait triste. Elle devait l’admettre, Steven lui manquait.
Une voiture noire se gara devant l’entrée de chez elle et força Betty à s’extirper de ses pensées.
Elle vit le fils de Manny Amos descendre et la rejoindre.
Soudain, elle se sentit sale et négligée. Ses cheveux étaient en bataille, son tablier trempé.
Elle voulut retirer une mèche rebelle de son front et ne réussit qu’à se mettre de la mousse sur le visage. Quelle gourde !, se plaignit-elle.
Manuel Amos accrocha le regard de Betty par son sourire chaleureux.
- Bonjour Mme Cord. Je vous dérange, peut-être ?
Betty montra l’éponge qu’elle tenait dans la main.
- Eh bien… je pense que je mérite une petite pause pour vous parler.
- Je n’en ai pas pour longtemps. Je voulais vous remercier et vous dire que moi et ma mère repartons en Californie aujourd’hui.
Une question brûlait les lèvres de Betty :
- Avez-vous pu parler à Jack Peyton ?
- Oui. Il a été très gentil avec nous.
- Jack Peyton ? s’exclama Betty un peu trop rapidement.
Voyant le regard surpris de Manuel, elle ajouta :
- Je veux dire, Jack est un peu préoccupé en ce moment et il…
Elle n’ajouta rien d’autre. Elle était sur un bateau qui tanguait fortement. Inutile de basculer dans l’eau et de se noyer.
Manuel reprit :
- C’est un homme bien, ce Monsieur Peyton.
Betty jouait avec l’éponge en faisant des ronds sur la vitre côté conducteur. Voyant l’humeur du fils de Manny, elle savait déjà que Jack n’avait pas dit la vérité.
- Que vous a-t-il dit au juste ?
Manuel secoua la tête.
- Pas grand-chose sur mon père. Il ne le connaissait pas bien. Il s’est proposé de vendre la demeure que mon père avait achetée au bord de la plage. Je peux lui faire confiance ?
- Jack est un excellent homme d’affaires. Il va sans doute la vendre au meilleur prix, soyez-en sûr.
- Bien, je ne vous dérange pas davantage. Nous devons être à l’aéroport de White River dans moins d’une heure. Encore merci pour tout.
Betty regarda Manuel s’éloigner.
Elle jeta l’éponge, s’empara du jet d’eau et termina plus rapidement que prévu le lavage de la voiture. Elle avait quelqu’un à aller voir.
Jack Peyton sortait de l’enceinte du Peyton Professional et se dirigeait vers le parking, lorsque Betty surgit devant lui au niveau de la fontaine à eau installée devant l’établissement.
Jack ne put réprimer un soupir.
- Quoi encore !
- Manuel Amos est venu me voir. Il repart en Californie.
- C’est plutôt une bonne nouvelle, non ?
- Tu ne lui as rien dit ?
- Non. En fait, je ne lui ai pas tout dit.
- Tu t’en sors à bon compte finalement.
Jack plissa les yeux.
- Et c’est ça qui te dérange ?
- Ce qui me dérange, Jack, c’est qu’un pauvre garçon trouve que tu es un type bien alors que tu as pratiquement tué son père.
Jack regarda autour de lui, afin d’être sûr que personne n’ait entendu les paroles de Betty. Fou de rage, il pinça les lèvres et sa main saisit le bras de Betty.
- Je t’interdis de prononcer ces paroles en public. Tu es folle ou quoi ?
- Jack, lâche-moi, tu me fais mal.
- Non, toi lâche-moi ! Ca fait des semaines que tu me bassines avec cette affaire ! Tu ne veux pas passer à autre chose ? Je ne sais pas, moi… peut-être réparer les pots cassés avec Steven… Ça occuperait tes journées d’une façon plus saine.
- Tu te crois drôle peut-être, vociféra Betty. Mais un jour la vérité va t’éclater au visage et tu ne t’en remettras jamais.
- Betty, je vais être clair avec toi. Je ne veux plus que tu me parles des Amos. Le fils et la mère ne savent rien des magouilles qu’a pu faire Manny du temps de son vivant et je trouve que c’est très bien comme ça. Alors laisse-les vivre leur vie. Tu me dis souvent que je ne veux pas voir la vérité en face et que ce que j’ai fait est monstrueux. Mais dis-toi bien que ce jour-là, ce fameux jour où Amos est mort, c’est tes fesses que j’ai sauvées. Et maintenant, j’offre à la famille de ce taré l’opportunité de vivre sans penser à quel point leur père et mari était un salaud. J’ai au moins aidé à ça. Et toi, pendant ce temps, qu’est-ce que tu as fait ? Rien. Rien d’autre que de me reprocher d’avoir laissé Amos se faire tuer avant qu’il ne nous tue, nous !
Betty prit ça pour une invective. Jack avait parlé d’une voix ferme, tout en tenant le bras de Betty.
Il reprit ses esprits et retira sa main du bras de Betty. Puis il remit sa cravate en place et parla d’un ton plus doux.
- Et encore un dernier conseil : trouve-toi un travail. Ça évitera ton esprit de gamberger, et ça me fera des vacances.